De notre correspondant à Constantine
A. Lemili
La maison des jeunes Ahmed Saadi a abrité au cours de l’après-midi de lundi dernier une rencontre organisée et animée par les membres de l’association «Santé pour tous» autour du sida. L’aspect particulier par lequel se démarquera sans doute ladite association dans le traitement du fléau du XXe siècle est d’avoir abordé sans retenue la question. Il est certainement difficile pour une personne n’appartenant pas à la ville de Constantine d’imaginer un seul instant qu’une telle rencontre n’ait été tenue qu’en la présence d’une majorité de femmes, les hommes se comptant sur les doigts des deux mains non pas par exclusion délibérée mais parce qu’il se trouve que, dans la ville des Ponts, il n’y aurait que la gent féminine qui détienne le courage de parler d’un mal considéré à tort comme une tare et frappé par voie de conséquence des plus incompréhensibles tabous.
Il est d’ailleurs facile d’évaluer le mutisme qui entoure la question du sida à Constantine par un argument frappant : il n’existe aucune association de type loi 90-31 à même d’être le porte-parole d’une population dont ne sauraient être tus la réalité et certainement le désespoir profond dans lequel elle serait plongée. D’où l’initiative de «Santé pour tous» de ne pas laisser passer un rendez-vous aussi important. Bien au contraire, à partir de la tribune, les intervenantes ont tout fait pour en parler et non seulement en parler mais en faisant tomber tous les interdits mnémoniques des uns et des autres des membres de la société locale, quitte pour cela à rappeler qu’être musulmans n’exclut pas les membres de cette société d’être les victimes volontaires ou involontaires du sida. Mieux, les docteurs Badaoui et Boutamine dont les interventions ont monopolisé l’intérêt de l’assistance ont insisté sur la nécessité d’en faire une préoccupation de tous les jours, les semaines et les mois qui font l’année, rappelant qu’il ne suffit plus d’évoquer le sida uniquement le 1er décembre au moment où l’épidémie décime des millions de personnes dans le monde et met en situation de danger permanent des Algériens même si, selon les recensements officiels, il n’existerait que 3 357 séropositifs dans notre pays, dont 873 sidéens (définitifs et en phase terminale)… et que le premier cas de sida enregistré en Algérie date de 1986.
Bien évidemment, toutes les associations disposent des mêmes statistiques. Ce qui dénote quand même que, malgré tout, elles restent tributaires des seules informations officielles communiquées par les structures publiques et que, pour qui estimerait réaliser ses propres investigations sur le terrain, le black-out règne en maître. Et rien que pour cette raison, les statistiques données ne peuvent que prêter à doute sur leur authenticité quoique le gros avantage reste, bien entendu, l’énorme concession qui prend de plus en plus de forme avec, enfin, l’idée pour la société d’admettre l’existence du sida.
Les animatrices de «Santé pour tous» qu’on ne pourrait très certainement pas étiqueter d’agnostiques ont tenu à souligner à l’endroit de l’assistance que «la société, si bigote soit-elle, ne saurait dorénavant faire face à une réalité, voire des réalités sans doute réductrices aux yeux d’un peuple musulman ; l’homosexualité, l’adultère, la toxicomanie sont là et bien là. Il ne suffit plus dès lors de pratiquer la politique de l’autruche et de laisser croire que les valeurs religieuses ont toujours fait que ces déviances ne concernent pas notre société».
En conclusion, ce qui est à retenir d’une rencontre où l’épidémie -ses origines, sa cause, ses conséquences- a été disséquée techniquement, sociologiquement et scientifiquement, c’est aussi et surtout la levée de tous les non-dits qui ont prévalu jusque-là.